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Aller. Difficile de se lever de nouveau à 4 heures du matin. Mais quand le train Compiègne > Paris part à 05.00 h, difficile de faire autrement. Sandy me dépose à la gare 15 minutes avant le départ et j’entends s’éloigner ma voiture de collection dans un feulement digne des italiennes les plus sportives. Sandrine me fait signe, mais elle ne sort pas son grand mouchoir. Mon labrador me regarde, tête penchée, un peu triste, de la banquette arrière. J’ai l’impression qu’il me fait un clin d’œil. Mais il fait encore nuit. Et il est black. Je grimpe dans le premier tube venu et choisis un demi compartiment en rez de jardin. Quatre espaces de 4 places libres s’offrent à moi. Chacun d’eux sont répartis pour moitié à gauche et à droite. Bien français. Je choisis le premier à droite et m’assied à gauche, (bien français) côté couloir dans le sens de la marche. Je soliloque et maugrée comme il se doit, par habitude, je ronchonne quand ma valise ne rentre pas dans l’espace bagage prévu à cet effet, au dessus des sièges. Un malheur n’arrivant jamais seul, je ne suis plus tout seul. Des travailleurs se pressent pour prendre leur place habituelle. Oui, je pige en 2 secondes que toutes ces personnes ont leurs habitudes du premier janvier au 31 décembre. Je suis l’emmerdeur qui fait braire tout le monde avec ma valise et mon petit air de retraité. Enfin, mon air de petit retraité. Tout y passe dans ma tête. « Putain de poker, enfoirés de Grimaldi, saloperie de SDBM, quel joyeux boxon dans ce dur, etc… » J’ai finalement trouvé la solution.
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Quand je pose mes fesses sur la banquette, je commence à regarder autour de moi et je me dis (in petto) que la SNCF a du déposer son bilan ! Je ne parviens pas à me souvenir la dernière fois que j’ai pris le train pour descendre à Nice mais je soutiens mordicus que le Train Bleu n’était pas agencé de la sorte ! Le demi-tube est maintenant plein. Des blancs, des black, des jaunes, des sikh, des gris clairs, des gris foncés… Chacun a l’air de se connaître. Ou du moins de se reconnaître. Une forte femme, les pommettes rougies par sa course sur le quai prend la parole et ne lâchera le crachoir qu’à Paris Nord. Soit 55 minutes de monologue s’adressant aux uns et autres, lesquels ont déjà fermé les yeux mais saluent les efforts (de celle que je surnomme déjà la Mère Denis), par des hochements de tête entendus. Elle est en partie édentée, n’a pas eu le temps de se coiffer mais elle a l’air très sympathique. Je laisse donc le tortillard s’ébranler puis me bercer sans que les babillages de la Mère Denis m’indisposent le moins du monde.
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Je perçois dans un semi-sommeil ouaté l’incessant bavardage de cette quarantenaire, à la fois vive et usée par la vie. Elle semble très fière, en s’adressant à un sikh non enturbanné, de lui dire sa trouvaille de la veille. Comme d’habitude elle se lève à 04.15 h pour avoir ce train et arriver à Paris à 04.55 h. Mais, après que son métro l’eut déposée à Gare de Lyon, après avoir pris sa correspondance pour se rendre à Villeneuve st Georges, elle a découvert un passage souterrain qui lui permet d’arriver pile à l’heure à son boulot. Énorme découverte, dont elle est fière. Plusieurs dormeurs opinent du chef pour saluer la performance. Puis elle nous raconte les avantages qu’elle en tirera dès aujourd’hui. Plus de course effrénée pour reprendre le train dans le sens inverse et arriver à l’heure à son second emploi qui démarre à 15 heures à Compiègne. Seulement 3 heures de ménage mais tout est bon à prendre n’est-ce pas ? Là, elle commence à râler un peu car en rentrant chez elle à 18.30 h personne n’a rien fait à la maison. Comme d’habitude ! Ses 2 garçons jouent sur l’ordinateur et son mari n’est pas rentré ! Alors elle se met au repassage puis au ménage avant de préparer son repas pour la famille. « C’est que ça mange à c’âge là ! Et mon homme n’aime pas quand je suis en retard ! Toute façon, jamais ça arrive ! Tout ça fait que je serai moins fatiguée ! Et on a jamais le temps de regarder un truc à la la télé puisque si je me couche pas à 10 heures (22 h) je ne pourrais pas me lever à 04.15 h. Bon, salut tout le monde, à demain ! »
Bien sûr, d’un œil je vois toutes ces personnes sortir en se pressant et j’entends grommeler un « à demain » peu enthousiaste ! Ma tête ou plutôt mon cerveau (quel hémisphère ?) a émis un signal d’alerte très aigu, mais l’autre partie de la matière grise me fait défiler la Riviera et ses merveilles. Certaines vaines, d’autres appelées un jour à disparaître dans un méga tremblement de terre paraît-il ? Du coup je prends un taxi parisien pour me conduire Gare de Lyon. J’ai besoin d’absorber cette leçon d’humilité, de courage et de simplicité que j’ai prise en pleine face. J’ai un peu honte, je l’avoue et ne me sens pas très à l’aise de retrouver un monde ou le sophisme de l’éphémère règne en maître incontesté. Quelques cafés, cigarettes et journaux plus tard, mes compagnons d’aventure arrivent ! Et on est monté dans le TGV. Descente à Nice, rendez-vous à l’appartement loué, location de voiture… Cette épopée méritera un autre article, bien sûr !
Retour. Je grimpe dans ce Paris-Compiègne qui me ramène à bon port. Fatigué, certes, mais de très intéressantes découvertes. Je m’installe cette fois sur un strapontin près de la sortie. Ma valise en évidence, mon ordinateur entre les jambes. Soudain, la lumière du jour ne filtre plus dans mon patio SNCF. Un géant, style John Caffey, entre dans mon espace vital et s’assied en face de moi. Sur deux strapontins… Sitôt assis il se tourne et se retourne pour appeler un agent du Rail. Il en trouve un qui s’approche de lui, en même temps que le train démarre. J’entends bien malgré moi ses explications en bon français : il a une carte Navigo » je crois, plusieurs zones et comme il ne travaille pas aujourd’hui, il va à Creil rendre visite à quelques amis ou famille… L’agent lui dit qu’il a bien noté et qu’il revient après les annonces d’usage au micro. A ma gauche, un homme au cheveux blancs que je n’ai pas bien regardé. Et désormais, au milieu du patio, 2 agents, une femme et un homme, expliquent en toute courtoisie à John, que son passe est bon mais pas sur cette ligne. Donc, pas de problème, il s’est manifesté et ne doit que la somme de 14 euros.
Aïe, petit problème, John n’a pas de liquide sur lui ni chéquier. En revanche, il a sa Carte Nationale d’Identité en bonne et due forme, sa carte CPAM et même ses 3 derniers bulletins de salaire. Il est contrit et désolé. Les agents regrettent sincèrement mais se voient dans l’obligation de dresser un PV de carence. C’est malheureusement la Loi et chacun se doit de la respecter. Le monsieur aux cheveux blancs se lève et demande aux 2 agents : « Combien va-t-il payer en finale ? » Réponse de l’agent, après lecture de son dossier tarifé : « Environ 68 euros + 14 euros de billet ferroviaire ».
Le monsieur fouille dans sa poche gauche et en sort 2 billets. L’un de 5€ l’autre de 10€ et les offre à John Caffey. Puis il retourne s’asseoir. Les agents disent à John : « Vous pouvez remercier ce monsieur ! » En fait, cette recommandation était inutile. Le géant traverse l’espace et prend le papy dans ses bras et lui claque deux bises sonores sur les joues. Il le repose et lui dit : « Mon nom est….. je suis originaire de Côte d’Ivoire. Donnez-moi vos coordonnées que je puisse vous rembourser. Si j’avais eu à payer 80 euros, j’aurais été dans la peine. Merci du fond du cœur. » Cheveux blanc lui a répondu quelque chose du genre : « Faites la même chose que moi quand vous le pourrez et nous seront quittes mon ami ! »
J’ai vu des choses superbes à Monaco. Mais j’ai pris 2 leçons à 5 jours d’intervalle, à 60 balais ou presque ! Dans 2 trains de banlieue. Et cela n’est pas superbe, c’est inoubliable…
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